Le besoin de repenser le progrès
En ce début du XXIème siècle repenser le progrès sociétal est devenu une nécessité. Son assimilation à la croissance de la production de richesses, mesurée par le PIB, qui a prévalu avec un certain succès pendant le siècle dernier, ne peut plus fonctionner. Cela conduit aujourd'hui à une crise multidimenssionnelle (économique, sociale, environnementale, culturelle, voire même civilisationnelle) qui menace les équilibres profonds de nos sociétés et demande à repenser autrement leurs objectifs. Depuis le début des années 2000 plusieurs institutions internationales, dont le Conseil de l'Europe, l'Union Européenne, l'OCDE et un certain nombre de gouvernements se sont penchés sur ce problème, faisant écho aux ONG qui, comme le Club de Rome, l'avaient déjà soulevé depuis les années 1970.
Deux raisons majeures, interliées, expliquent cette nécessité. La première est la mondialisation des échanges et de la circulation des biens matériels et immatériels et l'interdépendance généralisée qui en découlent, rendant impossible de raisonner le progrès au niveau d'un seul pays ou continent. La deuxième est la limitation des ressources naturelles disponibles. Un modèle de croissance indéfinie de la production de richesses n'est soutenable, à terme, que dans une situation de ressources illimitées, ce qui pouvait paraitre encore vrai au siècle passé. Aujourd'hui la limitation des ressources est devenue une évidence, rendant de facto caduque un tel modèle et demandant donc un changement radical d'orientation.
La question la plus prégnante et sans doute la plus difficile à résoudre pour un tel changement est la nécessaire réduction des inégalités. Si on peut s'accommoder de la présence d'inégalités croissantes dans un monde aux ressources infinies, en considérant que les plus pauvres finiront toujours par s'enrichir même s'ils y parviennent plus tard (paradigme de Rostov), une telle conception n'est pas défendable dans un monde aux ressources limitées: si elles sont surutilisées par certains, elles ne sont plus disponibles pour les suivants. La consommation massive et extrêmement rapide des énergies fossiles et autres ressources du sous-sol par une minorité de l'humanité depuis deux siècles, jusqu'à arriver près de leur épuisement, avec des implications multiples (changement climatique, surproduction de déchets au delà des possibilités de traitement), en est l'illustration la plus flagrante.
Repenser le progrès dans le contexte du XXIème siècle implique donc de concevoir la croissance non plus en termes de production de richesses mais de meilleure utilisation des ressources et richesses existantes pour permettre à tous d'avoir accès à une vie digne et au bien-être sans compromettre celui des générations futures. C'est pourquoi l'objectif de progrès mis en avant par SPIRAL est le bien être de tous sans recours aux ressources non renouvelables (notamment sans énergies non renouvelables, qu'elles soient fossibles ou minières). Construire une société qui soit capable de progresser dès à présent vers un tel objectif constitue le véritable défi de l'humanité aujourd'hui.
Les trois nouveaux "gisements" de progrès
Or les possibilités de progrès dans ce sens sont considérables pour plusieurs raisons:
1- Les progrès réalisés jusqu'à présents se sont concentrés sur la production de biens et services mais très peu sur les économies de ressources et encore moins sur la consommation et ses liens avec la satisfaction et le bien -être. Au contraire les besoins de la croissance de la production ont incité à une augmentation de la consommation tout azimut jusqu'à voir se démultiplier les situations les plus abérrantes et insoutenables.
2- La croissance de la production de biens et services part d'un présupposé sous-entendu et non démontré, à savoir que le bien-être des humains se limite à la satisfaction des besoins matériels (alimentation, santé, logement, habilement, revenus,...). Or si ceci parait une priorité dans une situation de sous-développement, très vite le besoin de répondre à d'autres dimensions du bien-être ressurgit, alors qu'elles sont trop souvent ignorées, voire maltraitées, comme par exemple: le besoin de reconnaissance, la dignité humaine, le besoin de relations humaines, la justice dans la société, l'équilibre personnel de tout à à chacun, la possibilité de s'exprimer et agir dans la société, le sens de ses engagements et de ses responsabilités, le cadre de vie, l'environnement, etc.
Le modèle du progrès conçu sur la croissance indéfinie des richesses, mesurée par le PIB, laisse donc de coté des pans entiers qui constituent autant de gisements de progrès encore inexploités. Plutôt que de concentrer nos efforts sur la recherche de nouveaux gisements d'énergies fossiles, au risque, maintenant bien présent, de provoquer un embrasement climatique irréversible, nous proposons de partir à la conquête de ces trois "gisements inexploités" du progrès sociétal que sont: 1- une meilleure efficacité dans l'utilisation des ressources; 2- une meilleure adéquation de nos modèles de consommation à notre bien-être; et 3- une plus grande attention aux dimensions immatérielles du bien-être, trop souvent ignorées, voire malmenées.
La coresponsabilité et le partage comme piliers
Chacun de ces trois "gisements de progrès" implique une coresponsabilité entre tous les acteurs de la société: chacun doit pouvoir se sentir partie prenante d'un tel progrès sociétal et pouvoir compter sur les autres. La coresponsabilité pour le bien-être de tous, générations futures incluses est l'orientation générale à se donner. Elle est intimement liée à la notion de partage. Il n'est en effet pas possible de demander à chacun de se sentir véritablement coresponsable dans un monde où les inégalités sont démesurées voire croissantes. Les notions d'égalité des chances et d'accès équitable doivent donc être au cœur des progrès à réaliser. Partage et coresponsabilité sont les piliers d'une nouvelle culture à construire du bien vivre ensemble sur une même planète.
La construction d'une vision partagée du bien-être de tous, point de départ indispensable...
La coresponsabilité pour le bien-être de tous suppose en premier lieu : 1- de se reposer la question du bien-être: qu'est-ce? comment le définir? comment en faire un objectif de progrès ? 2- de le faire dans une perspective inclusive du bien-être de tous.
- Se reposer la question du bien-être est nécessaire pour relativiser le bien-être matériel, exacerbé dans un modèle de croissance indéfinie de la production et de la consommation, pour (re)découvrir les autres dimensions du bien-être et leur donner toute leur importance.
- Se poser cette question dans une perspective de bien-être de tous est indispensable, non seulement pour une question de paix et de sécurité entre les peuples, mais aussi parce que le bien-être ne peut être raisonné uniquement au niveau individuel: une partie de l'humanité ne peut vivre bien si l'autre est dans le mal-être ou si elle y parvient au dépens des générations futures.
Construire une vision partagée du bien-être de tous est donc un point de départ indispensable. C'est la base première de l'élaboration de la méthodologie SPIRAL
...et base d'un renouveau de la démocratie
La définition du bien-être de tous ne peut être assurée ni par des spécialistes, aussi compétents puissent-ils être dans leurs disciplines (psychologie, sociologie, philosophie, etc.) ni par le marché et comme cela se passe aujourd'hui. Elle est, par nature, l'affaire des citoyens eux-mêmes car personne ne peut définir le bien-être d'un être humain à sa place. Construire une vision partagée du bien-être de tous comme objectif du progrès sociétal est donc une tâche essentielle, base d'un véritable renouveau de la démocratie, au-delà de la seule participation aux élections.
De même la coresponsabilité est l'expression même d'une démocratie avancée où chacun se sent véritablement partie prenante de la société et de son bon fonctionnement et où droits de l'homme/droit au bien-être pour tous et démocratie sont indissociables.